Monique Eyraud est éducatrice spécialisé dans un IMP à Grenoble. Elle travaille auprès d’enfants handicapés
1) En quoi consiste votre travail ?
M.E. : A essayer de faire communiquer des enfants handicapés, les aider à progresser pour qu’ils tendent vers une autonomie suffisante et accèdent à des demandes compréhensibles .
2) Quel est l’âge de ces enfants ?
M.E. : Nous les accueillons de 3 à 18 ans. Les miens ont de 3 à 8 ans.
3) Vous vous occupez de combien d’enfants ?
M.E. : Je m’occupe de 18 enfants, 9 enfants en classe pour handicapés et 9 autres en arthérapie (travail qui leur permet de produire des traces et d’exprimer des émotions par le dessin, la peinture. Très peu s’expriment dans un langage oral.)
4) Aimez-vous votre travail ?
M.E. : Oui, beaucoup, il est très intéressant. J’avais prévu de rester 4 ans, et j’en suis à ma 9ème année ! C’est un travail qui m’apporte beaucoup. C’est grâce à ces enfants que j’ai appris à » prendre le temps » d’écouter.
5) Est-ce que ce travail est difficile ?
M.E. : Pas facile, au début en tout cas. On ne voit pas de progrès tous les jours.
6) Comment avez-vous réagi le premier jour ?
M.E. : Je ne les comprenais pas et je ne savais pas comment faire. J’ai demandé de l’aide aux personnes qui travaillaient avec moi. Le manque de langage me déroutait. Nous avons appris ensemble à mieux nous comprendre.
7) Est-ce que vous paniquez encore ?
M.E. : Non, parce que si je ne comprends pas, je sais que je peux demander de l’aide et je connais de mieux en mieux les problèmes rencontrés.
8) Etes-vous soulagée le soir ?
M.E. : Comme tout le monde, je suis contente de rentrer chez moi
9) Avez-vous pitié de ces enfants ?
M.E. : De la pitié ? Non. Si on a pitié, on travaille mal et on fait tout à leur place. Souvent, des passants trouvent que les éducateurs sont durs avec les enfants handicapés. Ils ne se rendent pas compte qu’ils ont aussi leur caractère, comme tout le monde et qu’ils doivent apprendre les règles sociales qui sont les mêmes pour eux.
10) Les enfants ont-ils des récréations ? Si oui, combien ?
M.E. : Ils n’ont que deux récréations. Il faut beaucoup de temps pour les habiller, les déplacer, les emmener aux toilettes. Ils ont peu d’autonomie physique. Mais ils ont des temps de repos entre les activités et les prises en charge ré éducatives (kiné, ergo, orthophonie)
11) Est-ce vous qui leur donnez à manger ?
M.E. : Oui, sauf pour deux enfants. Je leur ai appris à manger seul.
12) Les enfants s’entendent-ils bien entre eux ?
M.E. : C’est difficile. Au début, ils ont du mal à communiquer. Dans ma classe, deux enfants arrivent à jouer ensemble ou régler leurs problèmes sans que j’intervienne. C’est dans cette classe qu’ils se socialisent et intègrent les règles de vie dans un groupe.
13) Est-ce que vous connaissez leurs parents ?
M.E. : Ils sont contactés pour toutes les grandes décisions et pour définir les objectifs à atteindre chaque année. L’équipe se réunit pour construire des projets individuels.
14) Est-ce que les enfants handicapés tombent souvent ?
M.E. : Non. Quand ils tombent, c’est souvent la faute des adultes qui les ont mal attachés sur leur coquille. Ceux qui ont acquis la marche ne tombent pas plus que des enfants ordinaires.
15) Arrivez-vous à les comprendre ?
M.E. : Non, pas toujours, mais ils doivent apprendre à se faire comprendre et à comprendre les autres. Certains qui ne savent pas parler ont un tableau de communication avec des symboles.
16) Y a-t-il des problèmes, des crises ?
M.E. : Oui, des enfants ont parfois des crises d’épilepsie (ils ne se contrôlent plus, bavent et deviennent tout raides…) mais aussi des crises de comportement (colères…)
17) Est-ce que c’est plus dur de voir des enfants de 3 ans qui ont des crises, ou les plus grands ?
M.E. : Pour les plus grands, nous trouvons des doses de médicaments qui permettent de les stabiliser. Mais pour les plus petits, on ne sait pas encore. Dans l’établissement, nous avons peu de cas d’épilepsie qui ne soient pas améliorés avec la prise de médicaments.
18) Pouvez-vous citer quelques handicaps ?
M.E. : Ces enfants ont plusieurs handicaps associés (polyhandicapés) . A leur infirmité motrice peuvent s’ajouter des troubles du comportement, un déficit visuel ou auditif, des difficultés affectives, une déficience intellectuelle et des douleurs.
19) Est-ce qu’ils sont méchants avec vous ?
M.E. : Ils ont des réactions surprenantes parfois, mais c’est parce qu’ils n’ont pas la même compréhension que des personnes ordinaires. Ce n’est pas de la méchanceté. Il faut toujours leur expliquer les situations, les avertir, les » préparer » aux changements.
20) Est-ce que des fois vous avez de la peine pour leur parler ?
M.E. : Oui, parfois je ne comprends pas ce qu’ils veulent. Par exemple, un jour, en dessinant, une petite fille frottait sa joue. Je ne savais pas ce qu’elle voulait. J’ai consulté la personne qui constitue son BLIS (tableau individuel de communication comportant des symboles) et elle m’a expliqué que ça voulait dire » maman « . J’ai compris que le dessin était pour sa maman. J’ai pu ainsi avoir une meilleure relation avec l’enfant car elle a vu que je cherchais à la comprendre.
21) Est-ce que ça arrive qu’un enfant n’arrive pas à apprendre ?
M.E. : Non, ils apprennent toujours quelque chose, mais il faut du temps.
22) Avez-vous peur pour leur avenir ?
M.E. : Non, parce que plus tard, ils auront des solutions, des centres pour adultes. Ils auront sans doute toujours besoin de la présence d’éducateurs pour les aider à réaliser des tâches matérielles, mais il s’agit de les soutenir pour qu’ils puissent accéder à une vie d’adulte la plus indépendante possible, malgré la lourdeur du handicap.
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