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Les handicaps

Interviews

Patrick Bogeat est instituteur et directeur de l’Ecole maternelle des Marches (Savoie).
Il a accueilli dans sa classe, pendant deux ans, Manon, une enfant autiste. Nous lui avons posé quelques questions.

Monique Eyraud est éducatrice à Grenoble. Elle travaille auprès d’enfants handicapés, dans un IMP


Interview de Patrick Bogeat

1) Pourquoi avez-vous accepté cette enfant dans votre classe ?
P.B. : Tout d’abord parce que ses parents m’ont demandé s’il était possible de scolariser leur enfant. Vous savez peut-être que la loi prévoit que les écoles publiques accueillent les enfant handicapés. C’est donc d’abord un devoir pour l’école de faire le maximum pour scolariser les enfants autistes. Bien sûr, dans la pratique, il faut un encadrement “spécifique”, c’est à dire une personne supplémentaire pour s’occuper de l’enfant handicapé. L’absence de cette personne est souvent un handicap… pour accueillir un enfant handicapé !
J’ai d’abord dit oui, ensuite nous nous sommes adaptés à cette nouvelle situation. Il faut dire que dès le début, les parents avaient trouvé un étudiant en psychologie qui était bénévole pour accompagner Manon (c’est son prénom) dans la classe.
De plus, j’ai d’abord été éducateur avant d’être instituteur alors j’avais certainement moins d’inquiétude qu’une personne qui ne connaît pas le handicap.

2) Etait-elle contente d’être ici ? (Céline)
P.B. : Oui, après une à deux semaines, elle a découvert un environnement riche (composé de tout plein d’enfants !).

3) Comment ont réagi les autres enfants de la classe pendant ces deux années ? Est-ce qu’on s’est moqué d’elle ? Comment a-elle réagi ? (Céline)
P.B. : Manon était scolarisée une demi-journée par semaine car le reste de son temps était partagé entre l’hôpital et des groupes de travail extérieurs à l’école. Si bien que les enfants attendaient avec impatience sa venue, le jeudi.
Personne ne s’est moqué d’elle, au contraire, les enfant de 3 à 5 ans l’ont pris en charge pour l’aider à faire certains jeux (encastrements…) ou pour se déplacer dans la cour. Manon semblait satisfaite de cet entourage rassurant dans la cour où beaucoup d’enfants bougent, crient et courent.

4) Quels progrès avez-vous constaté ? (Florine)
P.B. : Manon s’est repérée assez vite dans l’école, donnant la preuve de sa capacité à reconnaître et se diriger dans un milieu familier. Pas de progrès en langage par contre même si Manon savait bien se faire comprendre pour demander un livre !

5) Est-ce que la différence d’âge était gênante ?
P.B. : A part la taille, beaucoup d’enfants avaient des capacités supérieures à Manon (langage, autonomie…). Ce n’est donc pas une difficulté. A l’adolescence par contre, Manon aura des besoins, des réactions, des pulsions… qu’elle aura du mal à contrôler. Son attitude ne correspondra alors plus à celle de jeunes enfants.

6) Quelles difficultés avez-vous dû surmonter ?
P.B. : Aucune. Ah si, j’oubliais : Une participation de la part de l’éducation nationale !! Nos ministres font des discours (au sujet de l’accueil des enfants handicapés) qui ne trouvent pas beaucoup de répercussion dans la réalité de tous les jours. Tout le monde, à commencer par les adultes, a beaucoup de progrès à faire !
Je veux dire que l’accueil d’un enfant handicapé coûte beaucoup plus cher que l’accueil d’un enfant “dégourdi”. Et c’est là que les difficultés commencent. Pas d’argent disponible = pas de personne en plus dans l’équipe pour Manon. Heureusement pour Manon, ses parents ont une énergie incroyable (demandes d’aides, courriers, rendez-vous…………………………….). Tous les enfants autistes n’ont pas cette chance.

7) Est-ce qu’elle répondait aux questions ? (Salomé)
P.B. : Non, pas par des mots. Plutôt par des attitudes (sourires, refus…).

8)Avez-vous préparé sa venue, et comment ?
P.B. : La décision a été prise rapidement. Manon est arrivée la semaine suivante après une réunion avec le psychologue scolaire, ses parents, Manon, les enseignants…

9) Faisait-elle comme tous les autres ou était-elle à part ?
P.B. : Elle n’était pas à part mais bien au milieu du groupe. En même temps, elle ne faisait pas comme les autres (pas de langage, parfois des cris, des gestes imprécis…).

10) A-t-elle compris le langage des autres enfants ? (Florian)
P.B. : Non, ou peut-être oui. Nous ne savons pas. Certains mots semblaient compris mais c’est probablement la situation qui était comprise.

11)Comment avez-vous fait pour communiquer ? (Violette et Morgane)
P.B. : Nous parlions normalement et parfois, nous insistions sur quelques mots en particulier pour bien attirer son attention.

12) Y avait-il des crises et comment faisiez-vous ? (Killian)
P.B. : Non, pas de crise.

13) Avez-vous réussi à la faire parler et comment ? (Jonathan)
P.B. : Non, seulement des cris.

14) A-t-elle quitté l’école ? Où est-elle maintenant ?
P.B. : Elle a quitté l’école car une classe spécialisée a été créée en Isère.


Monique Eyraud est éducatrice spécialisé dans un IMP à Grenoble. Elle travaille auprès d’enfants handicapés

1) En quoi consiste votre travail ?
M.E. : A essayer de faire communiquer des enfants handicapés, les aider à progresser pour qu’ils tendent vers une autonomie suffisante et accèdent à des demandes compréhensibles .

2) Quel est l’âge de ces enfants ?
M.E. : Nous les accueillons de 3 à 18 ans. Les miens ont de 3 à 8 ans.

3) Vous vous occupez de combien d’enfants ?
M.E. : Je m’occupe de 18 enfants, 9 enfants en classe pour handicapés et 9 autres en arthérapie (travail qui leur permet de produire des traces et d’exprimer des émotions par le dessin, la peinture. Très peu s’expriment dans un langage oral.)

4) Aimez-vous votre travail ?
M.E. : Oui, beaucoup, il est très intéressant. J’avais prévu de rester 4 ans, et j’en suis à ma 9ème année ! C’est un travail qui m’apporte beaucoup. C’est grâce à ces enfants que j’ai appris à ” prendre le temps ” d’écouter.

5) Est-ce que ce travail est difficile ?
M.E. : Pas facile, au début en tout cas. On ne voit pas de progrès tous les jours.

6) Comment avez-vous réagi le premier jour ?
M.E. : Je ne les comprenais pas et je ne savais pas comment faire. J’ai demandé de l’aide aux personnes qui travaillaient avec moi. Le manque de langage me déroutait. Nous avons appris ensemble à mieux nous comprendre.

7) Est-ce que vous paniquez encore ?
M.E. : Non, parce que si je ne comprends pas, je sais que je peux demander de l’aide et je connais de mieux en mieux les problèmes rencontrés.

8) Etes-vous soulagée le soir ?
M.E. : Comme tout le monde, je suis contente de rentrer chez moi

9) Avez-vous pitié de ces enfants ?
M.E. : De la pitié ? Non. Si on a pitié, on travaille mal et on fait tout à leur place. Souvent, des passants trouvent que les éducateurs sont durs avec les enfants handicapés. Ils ne se rendent pas compte qu’ils ont aussi leur caractère, comme tout le monde et qu’ils doivent apprendre les règles sociales qui sont les mêmes pour eux.

10) Les enfants ont-ils des récréations ? Si oui, combien ?
M.E. : Ils n’ont que deux récréations. Il faut beaucoup de temps pour les habiller, les déplacer, les emmener aux toilettes. Ils ont peu d’autonomie physique. Mais ils ont des temps de repos entre les activités et les prises en charge ré éducatives (kiné, ergo, orthophonie)

11) Est-ce vous qui leur donnez à manger ?
M.E. : Oui, sauf pour deux enfants. Je leur ai appris à manger seul.

12) Les enfants s’entendent-ils bien entre eux ?
M.E. : C’est difficile. Au début, ils ont du mal à communiquer. Dans ma classe, deux enfants arrivent à jouer ensemble ou régler leurs problèmes sans que j’intervienne. C’est dans cette classe qu’ils se socialisent et intègrent les règles de vie dans un groupe.

13) Est-ce que vous connaissez leurs parents ?
M.E. : Ils sont contactés pour toutes les grandes décisions et pour définir les objectifs à atteindre chaque année. L’équipe se réunit pour construire des projets individuels.

14) Est-ce que les enfants handicapés tombent souvent ?
M.E. : Non. Quand ils tombent, c’est souvent la faute des adultes qui les ont mal attachés sur leur coquille. Ceux qui ont acquis la marche ne tombent pas plus que des enfants ordinaires.

15) Arrivez-vous à les comprendre ?
M.E. : Non, pas toujours, mais ils doivent apprendre à se faire comprendre et à comprendre les autres. Certains qui ne savent pas parler ont un tableau de communication avec des symboles.

16) Y a-t-il des problèmes, des crises ?
M.E. : Oui, des enfants ont parfois des crises d’épilepsie (ils ne se contrôlent plus, bavent et deviennent tout raides…) mais aussi des crises de comportement (colères…)

17) Est-ce que c’est plus dur de voir des enfants de 3 ans qui ont des crises, ou les plus grands ?
M.E. : Pour les plus grands, nous trouvons des doses de médicaments qui permettent de les stabiliser. Mais pour les plus petits, on ne sait pas encore. Dans l’établissement, nous avons peu de cas d’épilepsie qui ne soient pas améliorés avec la prise de médicaments.

18) Pouvez-vous citer quelques handicaps ?
M.E. : Ces enfants ont plusieurs handicaps associés (polyhandicapés) . A leur infirmité motrice peuvent s’ajouter des troubles du comportement, un déficit visuel ou auditif, des difficultés affectives, une déficience intellectuelle et des douleurs.

19) Est-ce qu’ils sont méchants avec vous ?
M.E. : Ils ont des réactions surprenantes parfois, mais c’est parce qu’ils n’ont pas la même compréhension que des personnes ordinaires. Ce n’est pas de la méchanceté. Il faut toujours leur expliquer les situations, les avertir, les ” préparer ” aux changements.

20) Est-ce que des fois vous avez de la peine pour leur parler ?
M.E. : Oui, parfois je ne comprends pas ce qu’ils veulent. Par exemple, un jour, en dessinant, une petite fille frottait sa joue. Je ne savais pas ce qu’elle voulait. J’ai consulté la personne qui constitue son BLIS (tableau individuel de communication comportant des symboles) et elle m’a expliqué que ça voulait dire ” maman “. J’ai compris que le dessin était pour sa maman. J’ai pu ainsi avoir une meilleure relation avec l’enfant car elle a vu que je cherchais à la comprendre.

21) Est-ce que ça arrive qu’un enfant n’arrive pas à apprendre ?
M.E. : Non, ils apprennent toujours quelque chose, mais il faut du temps.

22) Avez-vous peur pour leur avenir ?
M.E. : Non, parce que plus tard, ils auront des solutions, des centres pour adultes. Ils auront sans doute toujours besoin de la présence d’éducateurs pour les aider à réaliser des tâches matérielles, mais il s’agit de les soutenir pour qu’ils puissent accéder à une vie d’adulte la plus indépendante possible, malgré la lourdeur du handicap.


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